DOI :http://dx.doi.org/10.14718/ RevArq.2015.17.1.4

PROYECTO ARQUITECTÓNICO Y URBANO

«ELDORADO» À la française ou à l’allemande? Une étude comparée des cinémas de Strasbourg.

"EL DORADO" ¿francés o alemán? Un estudio comparado de los cines de Estrasburgo

"ElDorado", French or German style ? A comparative study of movie theaters in Strasbourg

Shahram Hosseinabadi*
Université de Strasbourg. Estrasburgo (Francia) EA 3400-ARCHE (Arts, civilisation et histoire de l’Europe)

* PArchitecte. Université de Téhéran. Master 2 Recherche: Histoire culturelle et sociale de l’architecture et des formes urbaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines & École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles. Docteur en histoire de l’architecture Université de Strasbourg. Chercheur post-doctorant : Recherches sur la ville de Strasbourg : Métissage-Architecture-Culture / Metacult. École nationale supérieure d’architecture et Université de Strasbourg. Membre associé de l’EA3400 ARCHE. Allocataire de recherche du Ministère français de la culture et de la communication (2008-2011). Prix du meilleur article scientifique au festival de la presse spécialisée (Téhéran). shahram.hosseinabadi@strasbourg.archi.fr

Referencia: Hosseinabadi, S. (2015). «ELDORADO» À la française ou à l’allemande ? Une étude comparée des cinémas de Strasbourg. Revista de Arquitectura, 17(1), 32-43. doi: 10.14718/RevArq.2015.17.1.4

Recibido: octubre 13/2014 Evaluado: marzo 23/2015 Aceptado: mayo 29/2015


RESUMEN

En este trabajo se estudian los cines construidos en la primera mitad del siglo XX, en Estrasburgo, siguiendo el enfoque de los estudios de transferencia cultural, con el objetivo de poner en evidencia sus aspectos híbridos. Para ello, a partir de un estudio comparativo de las experiencias de París y Berlín, se analizan, primero, las salas de cine edificadas antes de la Gran Guerra —periodo en el cual Estrasburgo era alemana—, y algunos casos del periodo de entreguerras —cuando Alsacia fue devuelta a Francia—. Hasta la fecha, la arquitectura para la exhibición de cine en Estrasburgo ha sido abordada someramente y de forma aislada en algunos trabajos universitarios. Este estudio comparado va más allá de la periodización de la historia arquitectónica alsaciana, teniendo en cuenta los cambios de soberanía en esta región fronteriza. Se revela también la importancia de los cines como un tipo de edificio propicio para la transferencia de modelos y de mestizajes arquitectónicos, y se evidencia la necesidad de ampliar este tipo de análisis a escala transcontinental.

Palabras clave: Alsacia (Francia), arquitectura estrasburguesa, salas de espectáculos, cines, historia comparada, transferencia cultural.


ABSTRACT

This work contains studied theaters built in Strasbourg in the early twentieth century, following the approach of cultural transfer studies with the aim of highlighting their hybrid aspects. To do this from a comparative study of the experiences of Paris and Berlin they analyzed the first theaters built before the Great War-a period in which Strasbourg was German, and some cases of the interwar period - when Alsace was returned to France. Currently architecture for the exhibition of movie theaters in Strasbourg has been briefly approached in isolation and in some academic work. This comparative study goes beyond the periodization of the Alsatian architectural history, taking into account the changes of sovereignty in the border region. The importance of movie theaters as a building type suitable for transferring architectural models and crossbreeding is revealed as well as the need to extend this type of analysis to a transcontinental scale.

Key words: Alsace (France), Strasbourg’s architecture, theaters, movie theaters, comparative history, culture transfer.


RÉSUMÉ

La présente contribution tente d’étudier les cinémas de Strasbourg réalisés dans première moitié du XXe siècle selon l’approche des études de transferts culturels afin de mettre en évidence leurs aspects métissés. Pour ce faire, dans une étude comparée avec les expériences parisiennes et berlinoises, sont d’abord analysées des salles édifiées avant la Grande Guerre – période où Strasbourg était allemande – puis quelques réalisations de l’entre-deux-guerres – où l’Alsace est redevenue française. L’architecture cinématographique strasbourgeoise n’a été abordée, jusqu’à ce jour, que sommairement et de manière isolée dans quelques travaux universitaires. Cette étude croisée permet de dépasser la périodisation classique de l’histoire architecturale alsacienne suivant les changements de souveraineté de cette région frontalière. Elle révèle également l’intérêt des cinémas comme un type d’édifice propice aux transferts de modèle et aux métissages architecturaux, de même que la nécessité d’étendre ce type d’analyse à l’échelle transcontinentale.

Mots clés: Alsace, architecture strasbourgeoise, salles de spectacle, cinémas, histoire croisée, transfert culturel.


INTRODUCTION

Cet article résulte du croisement des recherches que nous menons depuis plusieurs années sur deux thèmes parallèles : d’une part, notre thèse de doctorat, soutenue en 2012, sur l’architecture des salles de cinéma ; de l’autre, l’étude des phénomènes de métissages et de transferts architecturaux dans le cadre du programme Metacult: Métissage, Architecture, Culture financé par l’Agence nationale de la recherche et la Deutsche Forschungsgemeinschaft (Châtelet, 2013). À partir de l’analyse des réalisations parisiennes, nos recherches doctorales ont permis de mettre en évidence la genèse d’une architecture propre aux cinémas entre 1907 et 1939. Or, cette période correspond à une époque marquée, à la fois, par la circulation de plus en plus aisée des hommes et des idées, et par un nouvel essor des nationalismes qui enflamma le monde à deux reprises. Dans ce contexte, une zone frontalière telle que l’Alsace se révèle d’un intérêt particulier ; point de rencontre des cultures « rivales », c’est une aire aussi bien d’échanges et de métissage que de quête d’identité. Des recherches récemment menées sur ces régions interculturelles, suivant une approche croisée (Werner & Zimmermann, 2003), ont ouvert de nouveaux horizons dans l’histoire de l’architecture ; l'ouvrage Interférences/Interferenzen et l'exposition éponyme en offrent l’un des exemples les plus récents (Cohen & Franck, 2013). Le programme franco-allemand Metacult auquel nous participons comme post-doctorant s’inscrit également dans la lignée de ces recherches. Fort de ces expériences, nous avons entrepris la présente étude sur les cinémas de Strasbourg dans la perspective de comprendre les parts respectives des cultures architecturales française et allemande dans les réalisations strasbourgeoises, l’hypothèse de travail étant qu’une synthèse des expériences des deux pays pourrait être décelée dans cette ville frontalière.

MÉTHODOLOGIE

Les cinémas de Strasbourg ont déjà fait l’objet d’un mémoire de master qui, offrant un riche catalogue des salles (Ferniot, 2013), nous a facilité le choix d’un corpus d’étude qui s’apprête le mieux à notre approche croisée. Cette dernière implique, par ailleurs, une analyse comparée des salles strasbourgesoises avec des exemples réalisés ailleurs en France et en Allemagne. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés, d’une part, sur notre thèse de doctorat et d’autre part, sur les travaux existants sur les cinémas de Berlin (Hänsel & Schmitt, 1995), considérant les réalisations des capitales comme les plus emblématiques des deux pays. Ce parti pris pourrait susciter des réserves notamment en raison de la différence des contextes socio-urbains des projets, Strasbourg n’étant, à cet égard, guère commensurable avec Paris et Berlin. Nous avons, donc, essayé d’y remédier en choisissant les cas d’étude et les critères d’analyse de manière à ne comparer que les comparables. Ainsi le corpus est-il composé de trois cinémas construits avant la première guerre mondiale, donc sous la gouvernance allemande, et de quatre salles réalisées dans l’entre-deux-guerres, autrement dit la période française ; tous sept présentant des dimensions et une ambition architecturale semblables aux constructions des capitales. Les critères d’analyse des cas d’étude comprennent d’une part, les données contextuelles, les protagonistes de l’élaboration des projets et leurs appartenance culturelle et professionnelle, d’autre part, les traits caractéristiques de l’architecture cinématographique tels que la forme de la salle, la disposition des places et la composition de la façade. Les documents nécessaires à ces analyses, aussi iconographiques que biographiques, ont été puisés dans les sources primaires, à travers la consultation des fonds des Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg (AVCUS), en particulier les permis de construire émis par la Police du bâtiment et les fichiers domiciliaires renseignés par la Police municipale. La documentation a été occasionnellement complétée et enrichie, surtout en ce qui concerne les éléments contextuels et biographiques, par la littérature existante et les bases de données créées dans le cadre du programme Metacult.

RÉSULTATS

L’histoire du cinéma est marquée d’événements – inventions, découvertes et initiatives – qui se sont produits quasi simultanément dans différents pays. Les efforts parallèles des frères Lumière en France et des frères Skladanowsky en Allemagne à la fin de l’année 1895 pour mettre au point respectivement le cinématographe et le Bioskope (Combes, 1991) en sont le premier exemple. Il en est de même quant à la tenue des représentations cinématographiques, dès l’année suivante, dans des salles existantes. À Strasbourg, la première séance fut proposée au public, au début de l’été 1896, dans le Variétés Theater (Gozillon-Fronsacq, 2003, p.30). L’apparition du cinéma en Alsace dans cette espèce de café-concert fait écho à l’histoire métissée de la région. D’une part, le directeur de la salle, Georges Brückmann était un homme « à la double culture, habitué des scènes parisiennes comme berlinoises » (Gozillon-Fronsacq, 2003, p.34-37) ; d’autre part, bien qu’appelé Variétés Theater, donc s’inscrivant dans une tradition de cabaret à l’allemande (Günther, 1978), l’établissement était surnommé « le Salon français » en raison de sa programmation et son public tournés vers la France. Du point de vue architectural, cette salle n’était pas construite exprès pour le cinématographe. Elle avait une disposition typique des cafés-concerts : un plan rectangulaire, une double galerie superposée en U et une décoration exubérante. Jusqu’en 1907, les projections eurent lieu, à Strasbourg comme partout ailleurs, dans des lieux de fortune et des locaux squattés. Cette date-là est, effectivement, un moment charnière pour le cinéma : sous l’effet de divers changements notamment l’instauration de la location des bandes au lieu de leur vente (Meusy, 2004) et le passage du cinéma de l’attraction à la narration (Abel, 2005, p. 124), il s’affirmait désormais, aussi bien comme spectacle à part entière que comme type d’édifice. Sur Paris comme sur d’autres grandes villes du monde, déferla alors la première vague de construction des salles exclusivement ou principalement consacrées aux projections (Hosseinabadi, 2012, p. 24-29 ; Hänsel & Schmitt, 1995, p. 211 ; Naylor, 1981, p. 23 ; Gray, 2011, p. 19-20). La capitale alsacienne n’était pas, à cet égard, à la traine : deux salles dédiées au cinéma ouvrirent leurs portes en 1907 et 1908, sur deux places centrales de la ville : l’une occupait un ancien café ; l’autre, une partie de l’historique bâtiment de l’Aubette. Or, aménagées dans des espaces exigus, elles n’avaient rien à voir avec les constructions parisiennes et berlinoises dont la plupart comptaient alors au moins 700 places. Il fallait attendre encore quelques années pour voir s’établir à Strasbourg des salles de telle envergure.

L’Eldorado et la francophilie

C’est à partir de 1910 que virent le jour les premiers vrais cinémas de Strasbourg, parmi lesquels l’Eldorado, une grande salle de 750 places que fit aménager Charles Hahn, en 1911, sur une artère de la ville, la Grand ’rue. Ce personnage, reconnu comme « le doyen du cinéma en Alsace », bien que réputé francophile (Gozillon- Fronsacq, 2003, p.73-74), sollicita pour son projet un architecte-entrepreneur « allemand de souche »1, Adam Burkmann. Celui-ci faisait partie des allemands venus s’installer à Strasbourg dans la vague d’immigration qui suivit l’annexion de l’Alsace au Reich (Uberfill, 2001).

Arrivé dès 1879, il fit carrière en Alsace mais repartit (ou fut expulsé) en Allemagne au lendemain de la Grande Guerre, alors que son fils ainé, Émile, devenu ingénieur des travaux publics, restait travailler à Strasbourg (AVCUS : 603 MW 117). Cela pourrait révéler l’attachement de l’architecte Burkmann à son pays et à sa culture d’origine. Peut-on en trouver des traces dans la conception de l’Eldorado ? Le projet consistait, en fait, à restructurer le bâti existant en couvrant une cour intérieure afin d’aménager au rez-dechaussée une salle presque rectangulaire. Avant d’en analyser le plan, une remarque s’impose au niveau de l’implantation urbaine. Comme nous le verrons, jusqu’aux années 1930, les cinémas de Strasbourg s'installent presque tous en centre ville, rarement dans les faubourgs, jamais dans la Neustadt - l’extension allemande dont l’urbanisation a pourtant débuté depuis 1890 (Pottecher, 2013). Cela s’explique partiellement par la nature fortifiée de la ville ; elle devait en effet conserver son enceinte, en raison de sa position stratégique, jusqu’au début des années 1920.

La forte densité de « l’ellipse insulaire » – le centre ancien de Strasbourg –, une vaste zone non aedificandi et la faible population des faubourgs constituaient autant de forces centripètes aux yeux des exploitants. À Paris, au contraire, avant les années 1930, les commanditaires de salles privilégiaient les quartiers périphériques puisqu’ils abritaient les classes populaires, principale clientèle du cinéma, et qu’ils offraient une importante réserve foncière (Rouleau, 1985). En tout cas, l’aménagement des salles strasbourgeoises dans les immeubles existants et leur insertion dans le parcellaire dense du centre-ville devaient entraîner au moins deux conséquences au plan architectural : d’une part, la conception de la salle essentiellement à l’aune des dispositifs de sécurité notamment l’évacuation en cas de sinistre ; d’autre part, le caractère discret de la façade qui, dans un tissu urbain médiéval, se réduisait souvent à un simple portail d’entrée.

L’Eldorado en est l’exemple par excellence : sur la façade typiquement alsacienne de l’immeuble, marquée par un oriel et un pignon à redents, le cinéma ne s’annonçait qu’à travers une modeste inscription au-dessus de l’arcade d’entrée. Le plan de la salle, quant à lui, se caractérisait par une répartition des sièges en trois travées desservies par deux allées longitudinales conduisant de l’entrée au large passage de sortie de secours à gauche de l’écran. Cette disposition symétrique où la rangée centrale est souvent deux fois plus longue que les latérales, rarement observée à Berlin, était très courante à Paris dès 1907 (Illustration 1). Elle avait été implicitement consacrée par l’ordonnance de la Police de 1908, dont l’article 92 exigeait un aménagement des places tel qu’aucun spectateur ne fût obligé de passer devant plus de sept sièges pour rejoindre l’une des allées principales de la salle (Ordonnance préfet, 1908). Y avait-il un règlement similaire à Strasbourg ou cette disposition de l’Eldorado relevait de l’initiative de l’architecte voire du commanditaire ? Les premières mesures pour la sécurité physique du public alsacien ont été établies en septembre 1910 ; des règlements plus détaillés allaient être mis en place en 1912 et 1913 (Gozillon-Fronsacq, 2003, p.81).

Illustration 1

Ainsi était-il théoriquement possible que la norme parisienne eût inspiré la réglementation strasbourgeoise ; encore que à cette époque, le « législateur » alsacien dût avoir le regard plutôt tourné vers l’autre rive du Rhin. En outre, il semble que les autorités n’étaient pas alors très favorables au développement du cinéma en Alsace ; en témoignent clairement les nombreux refus d’autorisation d’ouverture de nouvelles salles à Strasbourg et dans ses faubourgs (Gozillon-Fronsacq, 2003, p.84). Certes, des arguments d’ordre financier, sécuritaire et culturel étaient invoqués pour réfuter les demandes des exploitants, mais derrière ces prétextes, on devine la crainte que les films, souvent importés de la France, ne ressuscitent la francophilie chez les Alsaciens. Cela explique, en tout cas, le nombre restreint de salles construites à Strasbourg avant la Grande Guerre.

Le Palace strasb ourgeois

Malgré l’écueil de l’administration impériale, il y eut au moins deux autres réalisations importantes à Strasbourg dans les années 1910 : la première, le Palace, à l’initiative d’un exploitant alsacien, Albert Klein ; la deuxième, le Union Theater, par la puissante compagnie Projektions-AG Union (PAGU), première société anonyme de l’industrie cinématographique allemande (Gozillon-Fronsacq, 2003, p.93-95). Le Palace, inauguré fin 1910, paraît à plusieurs égards remarquable : c’était le premier cinéma « édifié » à Strasbourg, autrement dit, le premier édifice « construit » spécialement et exclusivement pour le cinématographe. Il se caractérisait, au plan architectural, par la répartition de ses 800 places en un parterre écorné à l’avant et deux galeries superposées en U. Les cinémas à double balcon étaient à cette époque rarissime aussi bien à Paris qu’à Berlin ; le premier exemple parisien de ce type, Lutetia Wagram, ne fut réalisé qu’en 1913, mais avec plus d’un millier de places. Cependant, ce n’est pas cette disposition, d’ailleurs récurrente dans les théâtres et music-halls, qui distinguait le Palace strasbourgeois, mais son ajustement au spectacle cinématographique. En effet, l’installation des escaliers de sortie des galeries à l’opposé de l’entrée avait permis de créer une salle traversante entre deux rues parallèles, et plus important encore, d’adapter le plan rectangulaire de la salle au champ visuel de l’écran en supprimant les sièges d’extrémité des premiers rangs ; ceux-là mêmes qui souffriraient d’une mauvaise vue oblique de l’écran et infligeraient, de plus, le torticolis aux spectateurs (Illustration 2).

Illustration 2

Une disposition similaire fut adoptée aux cinémas Marmorhaus et Bavaria de Berlin, édifiés tous deux, deux ans plus tard, le premier, par les architectes Scheibner et Eisenberg, le deuxième par Lesser et Karsten (Hänsel & Schmitt, 1995, pp. 53-54, 104) ; mais on n’en connaît pas d’équivalent à Paris. Si les baignoires et les loges latérales de balcon accusaient des emprunts au théâtre, plus ou moins inadéquats pour un cinéma, l’absence de scène donnait à la salle un aspect purement cinématographique. Elle rappelle, à cet égard, le cinéma Excelsior de Paris, conçu également en 1910, comptant le même nombre de places mais avec un seul balcon. À l’extérieur, le Palace déployait une façade à trois travées dont la centrale légèrement surélevée en gradins faisait penser à la fois aux pignons à redents alsaciens et aux frontons sculptés des cinémas parisiens. En effet, cette composition ressemble à celle typique des cinémas de la capitale à l’époque, encore que marquée ici d’une verticalité accentuée par des surfaces aveugles dépouillées et deux bandes vitrées élancées éclairant les escaliers latéraux ; ce qui donnait à l’édifice un aspect sensiblement plus moderne que les réalisations parisiennes contemporaines. (Illustration 3)

Ce premier grand cinéma de Strasbourg est l’oeuvre de deux architectes alsaciens de la génération née sous l’Empire allemand, David Falk et Emil Wolff (AVCUS : 720 MW 36). Tous deux avaient vraisemblablement étudié à l’École impériale technique de Strasbourg fondée en 1875 sur le modèle des Technische Hochschule allemandes réputées pour leur enseignement davantage technique qu’esthétique en matière d’architecture (Weber, 2013). Or, sur les plans du Palace, il ne transparaît de leur formation supposée techniciste que l’usage du béton armé notamment pour les planchers et les galeries ; ce qui semble, en tout cas, précoce par rapport à Paris où le premier cinéma construit partiellement en béton armé, l’Artistic Cinéma Pathé, fut réalisé en 1912 par l’architecte Marcel Oudin. L’usage de ce matériau a ainsi permis de construire, à Strasbourg quelques années avant la capitale française, une salle en double galerie superposée sans recours au point d’appui interposé.

Une « eigentlich Theatersaal » !

Le dernier cinéma élevé à Strasbourg avant la première guerre mondiale paraît, de prime abord, une « oeuvre » totalement allemande ! La construction de cette salle s’inscrivait dans une vaste opération de percement de voie à travers le centre ancien de Strasbourg, entamée en 1910 et appelée la « grande percée » (Darin, 2013). Celle-ci visait, entre autres, à remédier au manque de commerces et d’équipements en centre-ville ; l’installation sur la nouvelle avenue, d’une salle dédiée au cinéma qui était alors en plein épanouissement, allait donc presque de soi. Paul Horn (18979-1959), l’un des architectes-promoteurs promoteurs à l’oeuvre dans l’opération, avait prévu un espace commercial au rez-de-chaussée de l’immeuble qu’il construisait au tournant le plus important de cette voie, près de la principale place de la ville – l’actuelle place Kléber –, emplacement idéal pour un grand cinéma.

La géante société cinématographique PAGU qui, domiciliée à Berlin, contrôlait les grandes firmes allemandes de la filière, entreprit alors d’y établir une salle d’envergure nationale et le baptisa de son ancien nom, Union Theater. Paul Horn dressa lui-même les plans en 1913 ; ils marquaient une différence essentielle avec ceux des cinémas contemporains de Paris. Dans une configuration parcellaire irrégulière comme celle de Union Theater, les architectes parisiens auraient généralement donné la priorité à la régularité géométrique de la salle, l’« élément dominant » de la composition selon la terminologie Beaux- Arts (Lucan, 2009, pp. 178-187), essayant ensuite de pallier les difformités de la parcelle dans des espaces secondaires notamment le hall d’entrée ; il en résulterait un plan « graphiquement » bien composé. L’architecte alsacien, en revanche, a opté pour un hall rectangulaire, à première vue au détriment de la salle. (Illustration 4)

Illustration 4

Or, il ne s’est pas résigné à une salle « spatialement » difforme : aménageant une série de baignoires de plan trapézoïdal, il est parvenu à camoufler le mur oblique à l’arrière de la salle, et a créé une articulation entre celle-ci et le hall. Certes, le tracé du plan n’apparaît guère aussi graphique que dans le modèle parisien, mais ainsi, ni dans le hall, ni dans la salle, le spectateur ne se rendait pas compte de la configuration nettement désaxée de la parcelle. D’où provient cette différence de méthode de composition ? Né à Mulhouse alors que l’Alsace était « terre d’Empire » germanique, Paul Horn avait fait ses études dans les écoles polytechniques allemandes, d’abord à Karlsruhe puis à Munich. Mais il avait aussi travaillé quelques temps chez l’architecte parisien Hector Guimard (Bleikasten, 2007, p. 1667). Peut-être cette sensibilité à la perception de l’espace dans la conception du plan procède-t-elle de sa double culture architecturale. Cependant, tant dans la disposition que dans la décoration de la salle, il s’est fortement inspiré de l’architecture théâtrale classicisante : balcon en U avec loges ; moulures, corniches et pilastres cannelés sur les parois ; plafond à caissons et encadrement mouluré côté écran ; l’ensemble baignant dans une ambiance d’or, de rouge, de beige et d’azur. (Illustration 6)

Le recours à la « théâtralisation » pour agrémenter un cinéma destiné à la bourgeoisie n’était pas à cette époque une spécificité strasbourgeoise ; à Paris comme à Berlin, à partir de 1910, de grands cinémas calqués sur les opéras et les théâtres du XIXe siècle s’érigeaient dans les quartiers aisés, comme par exemple le Colisée, premier cinéma des Champs-Élysées, réalisé en 1912, dont le directeur se vantait d’avoir fait copier la façade du théâtre d’Amiens pour son établissement (Meusy, 2002, p. 517).

D’ailleurs, dans l’annonce d’ouverture de Union Theater de Strasbourg, aussi, le chroniqueur s’émerveillait de découvrir dans ce cinéma une eigentlich Theatersaal ou une « vraie salle de théâtre » (Gozillon-Fronsacq, 1995, p. 95). La façade, en revanche, était plutôt discrète, intégrée dans un ensemble d’immeubles. Donnant directement sur la « grande percée », elle a sans doute été dessinée suivant les directives de la « Commission des façades » qui régissait les constructions aux bords de la nouvelle voie. En témoignent clairement la reprise des arcades et la limite de la façade à hauteur de l’entresol des bâtiments adjacents. Le cinéma ne se démarquait, donc, que légèrement par ses surfaces pleines dépouillées et par son nom inscrit sur l’entablement (Illustration 5). Ainsi, comme son architecture le reflétait, Union Theater symbolisait- il un cinéma « bourgeois et allemand » – pour reprendre les termes d’Odile Gozillon-Fronsacq (Gozillon-Fronsacq, 1995, p. 97) – que prônait alors la municipalité strasbourgeoise ; mais la guerre allait tout basculer.

Un modèle français?

Au lendemain de l’Armistice, avec le retour de l’Alsace à la France, les compagnies françaises commencèrent naturellement à chercher leur part du marché strasbourgeois. L’une des premières tentatives vint de Cinéma Exploitation, une société constituée par l’entourage de Charles Pathé en 1907 pour créer et exploiter des établissements cinématographiques à Paris (Meusy, 2002, p. 177). En éminent maître d’ouvrage, elle avait alors commandé la construction d’une dizaine de salles dans la capitale, et contribué ainsi à la genèse d’une architecture cinématographique. Dès 1919, cette société décida d’établir une salle à Strasbourg, sur la place Broglie, l’ancienne promenade à l’intersection du centre-ville et de l’extension allemande. À cette fin, elle sollicita les architectes parisiens Lorant-Heilbron et Émile Lambert, qui avaient alors la charge de réaliser au moins deux cinémas : le Palais Rémois à Reims en 1921 et le Caméo sur le boulevard des Italiens à Paris, en 1926.

Cinéma Exploitation constitua bientôt une succursale régionale, appelée la société des Cinémas d’Alsace et de Lorraine qui devint le commanditaire du Broglie Palace. L’aventure de cette salle est, pour ainsi dire, symptomatique de l’histoire alsacienne de cette époque : pour effacer les effets de la politique de germanisation menée pendant le demi-siècle précédent, un déluge d’institutions, d’hommes et de produits « français » submergea la région, ce qui n’était pas toujours sans péripétie. En l’occurrence, l’obtention du permis de construire du cinéma donna lieu à des controverses entre les architectes parisiens et les inspecteurs de la Police du bâtiment strasbourgeoise. D’une part, pour les façades, l’administration exigeait une composition « en parfaite harmonie avec l’architecture des édifices du voisinage » (AVCUS : 233 MW 321). Les maîtres d’oeuvre, eux, répondaient que « l’architecture des façades de Broglie étant différente à tous les immeubles », ils avaient opté pour « l’architecture légère des vérandas » proche des cafés voisins. En effet, la façade projetée exposait un portail en fer forgé et en verre, dans un mélange de rococo et d’Art nouveau – composition qui rappelle vaguement celle de l’Omnia Pathé de Paris construit en 1912. L’argument ne fut pas admis par la Police du bâtiment et les architectes durent dessiner une façade nettement plus sobre. D’autre part, en matière de dégagements, le règlement local ne leur paraissant pas adapté aux grandes salles, les architectes avaient conçu le projet selon l’ordonnance du préfet de Police de Paris, et demandaient à bénéficier des règlements en vigueur dans les cinémas de la capitale. Ces divergences de vues révèlent l’écart entre les visions, d’un côté, locale, de l’autre, depuis la capitale. En tout cas, malgré les interventions des architectes de la ville, Broglie Palace fut un cinéma typiquement parisien implantée sur une place historique de Strasbourg : une salle à trois travées de places, au balcon légèrement incurvé, couverte d’une coupole centrale et décorée dans un mode classicisant très fréquent à l’époque dans les salles de Paris ; l’État français eût-il voulu ériger en Alsace un cinéma modèle, qu'il n'aurait pas su mieux faire! (Illustration 7)

Les architectes parisiens en Alsace

Le parc cinématographique strasbourgeois augmenta d’une dizaine de nouveaux établissements pendant l’entre-deux-guerres. À travers ces réalisations, plusieurs indices accusent l’influence française grandissante. D’abord, parmi les maîtres d’oeuvre, comptait désormais une majorité d’architectes formés en France, tandis qu’un grand nombre des praticiens alors actifs en Alsace étaient nés allemands et avaient étudié sous le Reich.

Le cabinet Brion & Haug, par exemple, fut auteur de deux salles importantes en 1921 : Grand Cinéma des Arcades, dans le centre-ville et le Rex, à Koenigshoffen. Albert Brion (1843- 1910) était un ancien élève de l’École des beauxarts (Durand de Bousingen, 2007, p. 363) auquel s’était associé après 1895, Eugène Haug (1864- 1936), son cadet d’une vingtaine d’années. Bien que l’on ignore son parcours d’élève architecte, celui-ci a sans doute bénéficié d’une formation sur le tas, sous le patronage de son collègue aîné. Était-ce en hommage à son maître-associé que, après le décès de Brion en 1910, Haug conserva l’appellation de l’agence et continua à signer les projets de leur double nom, jusque dans les années vingt ? Ou simplement pour profiter de la notoriété de la famille Brion en Alsace ? En tout cas, les plans du cinéma des Arcades laissent entrevoir sa méthode de conception à la Beaux- Arts. La salle « domine » nettement la composition ; tout effort a été fait pour qu’elle dispose d’une forme symétrique par rapport à l’axe de l’écran, cela au prix de générer des recoins biscornus, et parfois inutiles. (Illustration 8)

Illustration 8

Ce sacrifice spatial se justifiait, à la rigueur, par la pertinence de la forme adoptée pour la salle : un plan en éventail, coïncidant parfaitement avec le champ de la visibilité optimale de l’écran. Néanmoins, un souci du graphisme de plan est également lisible en filigrane, comme en témoignent clairement la paroi courbe à l’arrière de la salle et les cloisons obliques des deux côtés de la scène. Le cinéma de Haug s’apparente aux salles parisiennes par d’autres traits, entre autres la répartition des places en trois travées, le double balcon et la forme incurvée de ce dernier aux courtes avancées latérales. Loin d’être spécifiques à un modèle parisien, ces caractéristiques sont, pourtant, rarement observées dans les cinémas allemands de cette époque, notamment ceux de Berlin.

Le Cinéma Scala, réalisé en 1939 dans la banlieue sud de Strasbourg, est également l’oeuvre d’un trio d’architectes de formation franco-française : Charles Mewes (1889-1968), né à Paris, d’un père strasbourgeois lui-même architecte DPLG installé dans la capitale depuis l’Annexion ; Caspar Koenig (1889-1978), peintre alsacien avant d’être admis à l’École des beaux-arts, comme celui-là, en 1909 et diplômé au lendemain de la Grande Guerre ; et Pierre Félix (1901-1960), élève parisien d’un parcours honorable aux Beaux-Arts (Crosnier Leconte, 2014). Tous trois s’étaient établis en Alsace, au début des années 1920, pour travailler, et s’associèrent vers la fin des années trente. De leur collaboration a résulté un cinéma pour ainsi dire très parisien : la salle se caractérisait par sa forme ovoïde côté écran rappelant les réalisations de Charles Siclis pour le circuit Paris-Soir quelques années auparavant, et largement diffusées dans les revues d’architecture2. Du reste, le plancher de parterre en cuvette, le balcon légèrement incurvé et le plafond plongeant vers l’écran encadré d’une succession de gorges, esquissaient un profil de salle très courant dans les cinémas de Paris à cette époque (Illustration 9). L’aspect extérieur du Scala évoquait sensiblement l’emblématique Théâtre des Champs-Élysées, réalisé en 1913 par Auguste Perret : une façade de volumétrie et de proportions néoclassiques, quoique plus sobre en décoration et marquée légèrement d’une certaine verticalité par rapport au modèle parisien. (Illustration 10)

Illustration 9

Cette composition imposante et classicisante, à trois ou cinq travées, parfois agrémentée de motifs Art déco, constituait, dans les années trente, l’un des deux types de façade de cinéma, les plus répandus dans la capitale. Le second type, nettement plus moderne, se caractérisait par des enseignes et des signalétiques lumi-neuses, souvent intégrées dans un jeu de lignes ou de volumes, faisant oeuvre de réclame.

Cette « architecture publicitaire », comme l’ont appelée ses adeptes parisiens, Pierre de Montaut (1892-1967) et Adrienne Gorska (1899- 1969)3, trouve ses origines dans le concept de Lichtarchitektur (architecture de lumière) élaboré en 1926-1927 par le naturaliste allemand Joachim Teichmüller (Oechslin, 1994), ou encore dans l’idée d’une Architecture of the night (architecture nocturne) formulée quelques années plus tard par l’architecte américain Raymond Hood (Neumann 2002, p. 6-7). Certes, il y avait eu à Paris, en 1913, une tentative précoce d’usage du néon sur la façade du Palais Montparnasse – cinéma construit par les architectes Orlhac et Duron dont l’installation électrique fut réalisée par la fameuse maison Paz et Silva.

Cependant, pour voir la consécration d’une architecture lumineuse aux cinémas, il faut attendre le Titania-Palast de Berlin édifié en 1927. La composition cubique de ce cinéma sur l’angle de deux rues, surmontée d’une tour et illuminée par une succession de lignes horizontales marquait un tournant dans l’architecture cinématographique (Hänsel & Schmitt, 1995, p. 180-181). À Paris, cette formule trouva un terrain d’application dans les cinémas d’actualités. Ce type de salle, apparu initialement aux États-Unis, connut un grand succès en France des années 1930 (Meusy, 1997). Le premier circuit du genre, le Cinéac fit construire, en l’espace de quelques années, une vingtaine de cinémas, d’abord à Paris, puis à travers l’Europe dont l’exemple le plus connu reste celui d’Amsterdam, réalisé par Jan Duiker en 1934. Le couple Montaut et Gorska en étaient les architectes patentés, et à ce titre, édifièrent aussi, en 1938, le Cinéac de Strasbourg (Illustration 11).

Parfait exemple de l’architecture mise au point par ce tandem pour les salles d’actualités, ce fut la première réalisation des architectes proprement parisiens – n’ayant aucun lien alsacien – à Strasbourg ; mais nullement la dernière. Tandis que le Cinéac ouvrait ses portes, Vladimir Scob, un autre jeune architecte de Paris fut sollicité pour réaliser avec le strasbourgeois Adolphe Wolff (1892- 1960), le Pathé Vox. Celui-là avait alors commencé à se spécialiser dans la construction des cinémas, en participant à la rénovation de l’Olympia de Paris en collaboration avec l’architecte Villier4. Les plans du Vox datés de 1939 montrent une salle dont la disposition intérieure est très proche de celle du Scala. La façade, en revanche, esquissée de la main de Scob, incarne le type inspiré de l’architecture publicitaire des Cinéac, autrement dit une architecture de nuit, caractérisée par l’usage abondant de la lumière (Illustration 12).

La réalisation de cette salle, retardée par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ne s’acheva finalement qu’en 1947, et non sans quelque contestation de la part de la Police du bâtiment de Strasbourg, en particulier quant à son enseigne verticale, jugée inesthétique, hors d’échelle par rapport au bâtiment et à l’entourage, d’un style « d’ailleurs déjà démodé » (AVCUS : 816 W 174). Les architectes finirent par obtenir gain de cause en insistant sur la symétrie de la composition verticale, également lisible des deux côtés de la rue. Il n’en reste pas moins que Vox représente, effectivement, un exemple typique de l’architecture cinématographique des années trente, et probablement, le plus important cinéma réalisé à Strasbourg dans l’aprèsguerre jusqu’à la réalisation du multiplexe UGC au tournant du millénaire.

CONCLUSION

Comme cela a été d’usage dans l’historiographie classique de l’Alsace, on pourrait distinguer deux phases successivement allemande et française dans l’évolution de l’architecture des cinémas de Strasbourg : d’abord, la courte période sous le Reichsland, de 1910 à 1918, marquée par la présence dominante de grandes sociétés d’exploitation allemandes ; ensuite, la période française, entre les deux guerres, empreinte de l’influence des architectes parisiens. Or, cette étude met en question une telle dichotomie et rupture en soulignant des exemples de salles strasbourgeoises tel le Palace, qui ont adopté une disposition typiquement parisienne avant la première guerre mondiale, et inversement, d’autres exemples qui affichent une composition de façade « d’origine allemande » dans les années 1930. Le cinéma

Palace de Strasbourg incarne, ainsi, un exemple éloquent de métissage architectural dans une zone d’interférences des cultures française et allemande: si sur le plan, cette salle suit le modèle originel des cinémas parisiens de son époque, en façade, il évoque une façade typiquement alsacienne austèrement modernisée dans un esprit germanique. Cela dit, il n’est pas toujours aussi facile de retracer la filiation des conceptions et rétablir la généalogie des modèles en présence des similarités mises en évidence entre l’architecture cinématographique de Strasbourg et celles des capitales de part et d’autre du Rhin. Cette question touche à une problématique de l’histoire de l’architecture à laquelle on tente parfois de remédier en recourant à la notion de « l’esprit du temps ». Des variantes plus sophistiquées en sont parfois proposées, à l’instar du concept des « lignes de force » énoncé par Jacques Lucan (2002). Sous cette optique, les cinémas de Strasbourg semblent se trouver à la croisée de plusieurs « lignes de force » : certes, les pratiques française et allemande transférées par des maîtres d’oeuvre et d’ouvrage originaires de chaque aire culturelle, mais aussi, les expériences américaines – pays qui s’affirme à partir des années 1920 comme la terre du cinéma – véhiculées par les publications, recueils et revues, voire par les films eux-mêmes. Bien que ce genre de métissage puisse être constaté dans tout type d’édifice, le cinéma y a été d’autant plus propice qu’il représentait un nouveau programme, presque sans spécificité locale, s’élaborant quasi simultanément à travers le monde, autrement dit un type d’édifice éminemment international. Par conséquent, les résultats de cette recherche ouvrent de nouveaux horizons et pourraient servir de base à de nouvelles études croisées sur l’architecture cinématographique à l’échelle transcontinentale.


NOTES

1Équivalent du terme Altdeutsch, littéralement « vieux allemand », alors utilisé pour désigner les originaires des autres états de l’Empire allemand que l’Alsace-Lorraine.

2À titre d’exemples voir L’Architecture d’aujourd’hui, N° 3, mars 1935 : 23 et N° 2, février 1936 : 23 ; La Construction moderne, N° 26, 51e année, 29 mars 1936 : 532 (du volume annuel) et n° 17, 54e année, 19 févier 1939 : 217.

3Pour la biographie de Pierre de Montaut, voir Midant, (1996); pour celle d’Adrienne Gorska, Bonney, (2002).

4Vladimir Scob a ensuite construit et rénové de nombreuses salles, notamment le Lutetia Cinéma à Casablanca en 1950, le Pathé Wepler à Paris en 1954, le Rialto à Nice en 1958 ; il restructurera également plusieurs cinémas dans les deux décennies suivantes, entre autres, Marignan sur les Champs Elysées, en 1968.


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